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Petit blog clandestin
6 janvier 2014

Le danger de la sincérité

Le danger d'un blog comme celui-ci, c'est évidemment l'image de moi-même qui risque d'en sortir : acariâtre, rancunière, voire envieuse ou hystérique. Mais je n'ai déjà, dans la vraie vie, pas trop bonne presse. La solitude, un certain isolement, des rejets marqués ou bien des enthousiasmes suspects : je n'ai pas une personnalité lisse, qui permet une vie sociale facile et d'obtenir aisément  la sécurité affective.

Longtemps, je me contentais de prendre note du phénomène, d'un haussement d'épaules. C'était mon énergie, me semblait-il, qui faisait que "les autres", s'accrochant à moi comme des wagons, se laissant entraîner, les éloignait de moi. Et puis une apparence physique qui s'était beaucoup dégradée, ces dernières années. Si vous y ajoutez mes goûts pour la lecture, l'étude, les débats intellectuels, mon incapacité à jouer le rôle de miroir complaisant que beaucoup d'hommes demandent à leurs compagnes, vous en déduirez facilement que ma vie amoureuse n'a pas dû être facile tous les jours, et que mon premier mouvement, vis-à-vis de mes compagnons successifs, a été la reconnaissance. Chacun d'entre eux (il n'y en a pas eu tant que cela, autant que de doigts d'un main simplement, si l'on parle des amours "nécessaires") avait dû faire l'effort de passer outre ce qu'il y a de déplaisant chez moi, avant tout  cette incapacité à accepter ce qu'il peut y avoir de "bien" dans ma personnalité. Je veux dire que, jeune, il suffisait qu'un garçon me recherche et me regarde pour que je le fuis à tout jamais. Je n'aimais que ceux qui manifestaient, par leur indifférence à ma personne, une sorte de supériorité que je ne rencontrais pas souvent, que j'accordais à regret, et que je souhaitais inconsciemment détruire. 

L'histoire la plus importante de ma vie a donc bien été celle que je vis avec mon compagnon actuel, que j'envisage cependant, de plus en plus sérieusement, de quitter. Elle a duré, voyons, de 1988 à aujourd'hui ? 25 ans ? Comment peut-on sérieusement envisager de quitter quelqu'un chez qui on vit, avec qui on a eu un enfant -désormais adulte-, et qui a partagé tant et tant de tempêtes et de doux printemps avec vous ? Pour l'instant, je ne voudrais pas approfondir ce "comment" si terrible (car je ne sais certes pas "comment le quitter"). Je voudrais juste énumérer les "pourquoi".

Ce matin : cela fait le deuxième jour que je l'évite dans la maison, que je me tais, ce qui n'est certes pas mon habitude. On pourrait croire à du chantage : c'est plutôt l'attente anxieuse d'un signe d'attention, d'une question qu'il pourrait se, et me, poser : qu'est-ce qui ne va pas ?

Or, mon compagnon est incapable d'une telle démarche, si simple cependant. Toute remise en cause, même minime, de lui-même est inenvisageable. Je crois que c'est de cela que je souffre le plus, d'autant que cette posture se rigidifie, année après année. J'en suis d'ailleurs partiellement responsable. N'ai-je pas, sur mon blog "officiel", dressé le portrait d'un homme génial à tous points de vue ? N'ai-je pas écrit des textes d'amoureuse, de compagne fidèle ? N'ai-je pas encouragé cet orgueil, dont la souche première lui vient de son éducation ?

Conversation entre lui et son fils aîné (d'une première femme) : "Oui, je vais refaire tout le parquet de l'étage, je commence par le palier...

Moi : "ah oui, et on changera le tapis rouge, qui "jure" avec le fauteuil rose...

Lui : "ah non, tu ne vas pas commencer à foutre ta merde". "

En fait, il veut dire "tes merdes". Le mécanisme est simple. Notre rapport aux objets et si différent, entre lui et moi, qu'il a engendré chez lui un franc mépris pour mes goûts ou ma manière de faire. Comme la maison est à lui, le résultat est très simple : je n'ai jamais voix au chapitre. Il décide de tout, ayant estimé, une fois pour toutes, que non seulement je ne suis capable que d'acheter ou d'agencer "des merdes", mais encore que seule sa façon à lui de gérer les objets est la bonne.

Or, cette façon est caractérisée par un respect exagéré des choses, qui, au lieu de le servir, deviennent les maîtres. Je veux dire qu'il est capable d'adopter des postures très inconfortables, d'avoir des pratiques d'une complexité incroyables, pour "ne pas abîmer", ce qu'il exprime par "respecter le travail bien fait". Il exige évidemment de son entourage d'adopter la même attitude. Seulement, voilà : il ne se rend pas compte de la névrose que cette posture peut révéler, quand le souci des choses matérielles l'emporte sur tout autre considération.

Souvent, je me dis que si j'obtenais, de sa part, le dixième de l'attention qu'il porte au matériel, la relation serait bien moins difficile entre nous. Les tensions sont donc quotidiennes à ce sujet. Car j'estime, pour ma part, que si l'on doit effectivement respecter le travail bien fait, il n'en est pas moins essentiel de ne pas se laisser bouffer par une utilisation excessivement précautionneuse des objets qui doivent nous servir.. .

Exemple concret. Il a eu envie d'une nouvelle carriole (nous avons en effet des ânes, que nous attelons pour des promenades) : elle était très chère, mais luxueuse. Un peu trop chère pour lui cependant : il m'a donc entraînée dans cet achat, qui ne suscitait pas chez moi la même convoitise que chez lui. Mais j'ai toujours été trop faible avec lui, à cause de cette fichue reconnaissance et à cause du sentiment de mon indignité. De plus, j'avais toujours un peu mauvaise conscience avec l'ancienne carriole, un peu trop lourde pour l'âne qui la tractait. La nouvelle, mieux équilibrée, serait plus facile pour l'animal  : bref, j'ai accepté de partager l'achat, qui représentait 500 euros chacun, à UNE CONDITION cependant : que la nouvelle carriole n'engendre pas de nouvelles pratiques ou de nouvelles sujétions. Que la vie avec la nouvelle carriole ne suppose pas de nouvelles  précautions, bref, que nous ayons le même rapport avec la nouvelle que l'ancienne, rustique, brinquebalante et moins confortable. Il me le promit. Quand il a une envie, il est prêt à promettre tout, même la lune...

Que croyez-vous qu'il arrivât ? Bien entendu, tout changea. Il fallut d'abord trouver un tissu qui protégeait la carriole, mais qui nécessitait, à chaque sortie et rentrée, d'être deux pour l'installer. Puis on demanda aux enfants embarqués de "faire bien attention" à la nouvelle capote (qui était d'un cuir plus luxueux que l'ancienne, qui montrait des trous, mais dont le peu de valeur faisait que les enfants pouvaient s'y adosser), et à ne "pas salir" (ah là là). Enfin, il fallut désormais désormais fermer la porte de la grange, de peur que l'humidité abimât la nouvelle carriole.

Le plaisir de posséder devint plus grand que le plaisir d'utiliser. Notre nouvelle carriole "sort" quatre fois moins que l'ancienne... Certes, l'âne, qui a vieilli, n'est plus capable de travailler autant. Mais nous avons une ânesse qui pourrait parfaitement être attelée. La vérité est que la carriole, qui n'est pas "de la merde", représente désormais un "capital", qu'il convient de protéger. Le sentiment de trahison ("rien" ne devait changer...) m'a amenée  à tenter de lutter, un peu. J'ouvrais systématiquement la porte de la grange, car la fermeture de cette porte me renvoie directement à la maison où mon compagnon a été élevé, et où les portes sont toujours fermées. Je refuse, dans un mouvement de révolte impuissant et dérisoire, d'adhérer à cette conception des choses...

Mais je ne suis certes pas la plus forte. N'habité-je pas chez lui, avant tout ?

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